Atelier Sagarminaga : la fibre manifeste
Par Louise Aimée
Dans un monde saturé de formes lisses et de matériaux artificiels, Gabriela Sagarminaga fait le choix de la matière végétale, vivante, mouvante. Loin du bruit, son travail impose le silence. Dans son atelier niché à Bilbao, cette artiste-designer redonne souffle à une fibre oubliée : l’esparto, herbe sèche du sud de l’Espagne, longtemps reléguée au rang d’outil domestique, aujourd’hui rehaussée au statut de sculpture d’intérieur.
Sagarminaga Atelier, c’est d’abord un manifeste. Celui d’un retour au geste, à la lenteur, à l’essentiel. Ici, on ne produit pas : on tresse, on sculpte, on métamorphose. Les fibres deviennent lignes, volumes, textures. Elles habitent l’espace, elles le redessinent. Installations monumentales pour des hôtels cinq étoiles, fresques immersives en boutique, pièces sculpturales conçues pour la Milan Design Week ou les showrooms d’Arte , chaque projet est pensé comme un écosystème, à la croisée du design, de l’artisanat et de la mise en scène.
Un art qui respire
Gabriela Sagarminaga ne revendique pas une esthétique, mais une éthique. Après des études à Central Saint Martins et plusieurs années dans le secteur du design textile, elle s’éloigne des circuits balisés pour initier une recherche personnelle. En Amérique Latine, elle documente des pratiques collaboratives, questionne le lien entre artisanat et territoire. C’est à Madrid, lors d’une résidence, qu’elle tombe sur l’esparto et l’intuition est immédiate. Il y a là quelque chose à faire. Une matière humble, mais profondément vivante.
Depuis, elle en explore les possibilités dans un dialogue constant entre mémoire et expérimentation. Loin du folklore ou de la citation littérale, elle injecte dans ses pièces une radicalité douce, un langage formel résolument contemporain. L’esparto n’est plus ornemental : il devient structure, souffle, tension. À l’image de Tuna ExMachina, sculpture monumentale présentée à Milan ; un thon rouge suspendu, comme une figure mythologique surgie d’un rêve.
À la frontière du visible et du tactile
Chez Sagarminaga, la forme est toujours liée à l’expérience. Un cocon autoportant pour Polène qui capte la lumière comme une peau végétale. Des colonnes en roseau pour l’hôtel Regina à Biarritz, dressées comme des totems calmes dans l’atrium. Des têtes de lit, des fresques murales, des objets qui défient la fonction pour toucher à l’intime, au sensoriel. On ne regarde pas ses œuvres, on les habite.
Son projet personnel, New Nature, prolonge cette démarche dans une écriture plus libre encore. Lignes suspendues, structures flottantes, techniques 3D et gestes ancestraux : la nature n’est plus décorative, elle est centrale.
Une réinvention du luxe
À l’heure où le design s’emballe pour les narratives durables, Gabriela Sagarminaga impose une cohérence rare. Le luxe n’est pas dans l’éclat, mais dans la précision d’un tressage, dans le grain d’un matériau non traité, dans la densité d’un silence bien posé. Elle compose avec la matière comme avec le temps, dans un rythme qui échappe à la frénésie des tendances.
Gabriela Sagarminaga ne signe pas des objets. Elle signe des lieux d’attention.