Artistes palestiniennes en exil : Sauver la mémoire, tisser la résistance

Sous le poids des années et des violences répétées, la tristesse et l’impuissance nous écrasent, et parfois la culpabilité s’invite. Une soif de conquête et de domination de la part du gouvernement isrélien et de ses partisans qui n’aspire qu’à écraser, sans remords et sans cœur,un peuple chargé d’histoire. Car une guerre, au-delà des vies innocentes qu’elle emporte, détruit aussi le patrimoine : ces lieux, ces traditions, ces paysages qui ont rythmé la vie d’un pays, qui lui permettent de se raconter et qui ne seront sûrement jamais restaurés. Et face à cette spirale de violence, nombreux sont aussi les Israéliens qui, impuissants, voient leur gouvernement semer la terreur et les décrédibiliser aux yeux du monde. Tandis que l’occupation et les bombes israéliennes tentent d’effacer le peuple palestinien, qui résiste sous le soleil bas et lourd de la Méditerranée, des artistes exilés font résonner sa voix à travers le monde. 

Pour Emily Jacir, artiste née à Bethléem, l’art n’est pas décoratif : il permet de réparer et est une arme de mémoire. Pour la réalisation de son œuvre Where We Come From, elle a posé comme question à plusieurs Palestiniens, dont le retour dans leur pays d’origine est impossible : “Si je pouvais faire quelque chose pour vous, n’importe où en Palestine, que serait-ce ?”. Elle a ensuite profité de son passeport américain pour traverser l'Atlantique et exaucer les vœux de ces exilé.es. Parmi ces vœux, on retrouve des gestes intimes, quotidiens et coutumiers :  “Va sur la tombe de ma mère à Jérusalem et pose des fleurs” , “Va à Haïfa et joue au football avec le premier garçon palestinien que tu vois dans la rue.” , “Bois l’eau du village de mes parents.” , qu’elle retranscrit en éléments visuels dans son installation.

Son geste met en lumière l’injustice du contrôle des corps et des territoires: lorsqu’un peuple ne peut même pas accomplir ses rites, c’est sa mémoire sociale qui est anéantie. Par son art, Emily Jacir répare, consacrant la simple possibilité du déplacement comme acte politique.

La stratégie de destruction prend une forme double : elle assassine des vies et elle fracture les supports tangibles de la mémoire collective. Des opérations de sauvetage précipitées où des ouvriers et conservateurs récupèrent dans l’urgence des objets d’archives menacés par les frappes illustrent la très probable disparition de ces trésors. Récemment, des équipes ont réussi à extirper des milliers d’artefacts d’un entrepôt de Gaza avant sa démolition. Ces opérations improvisées laissent les objets mal conditionnés, déplacés vers des lieux secrets et souvent irrémédiablement abîmés. Ces scènes sont la logique inversée d’un musée : plutôt que d’exposer et de transmettre, on emballe et on cache, en espérant que la mémoire survivra à la terreur.

© Première Urgence Internationale

Pendant que le ministre des finances israélien se vante de l’opportunité financière que représente Gaza pour son pays, la disparition de bibliothèques, d’archives et de lieux d’exposition, détruit à l’inverse, des revenus des métiers et des chaînes de transmission des savoir-faire pour le peuple palestinien. Dans un territoire où l’économie est déjà opprimée, chaque bâtiment emporté dans les ruines scelle une perte durable de résilience culturelle et économique. 

Dans ce paysage de ruines, les artistes palestiniennes continuent de faire preuve de résistance. Non seulement en criant l’horreur, mais en recomposant les fragments du passé pour inventer des récits possibles. Mona Hatoum, figure de la diaspora, a longtemps transformé le quotidien en champ de bataille symbolique : ses installations, où des objets familiers deviennent menaces ou instruments d’angoisse, traduisent la dépossession et la condition d’exilé.e. Son travail, celui d’une palestinienne née dans l’exil exprime la nécessité et la difficulté de devoir tout reconstruire lorsque l’on est arraché à ses origines. 

Samia Halaby, artiste-chercheuse et militante palestinienne, peint dans ses toiles colorées, l’histoire de son pays, loin des images de ruines et de guerre. Installée depuis de nombreuses années à New-York, elle a songé à revenir vivre dans son pays d’origine. Après un passage devant sa maison familiale en Palestine, (investit un temps comme restaurant par les israéliens), elle a cherché un appartement à Ramallah. Depuis, Israël a envahi la ville et c’est devenu impossible. Cette exclusion abusive a malheureusement continué sur sa terre d'accueil ; l’artiste a vu la rétrospective sur son parcours annulée à l’université de l’Indiana au lendemain du 7 octobre. Rétrospective qui avait nécessité 3 ans de travail. Malgré ces tentatives de musèlement de la voix palestinienne, elle continue de produire ses oeuvres abstraites vibrantes et tient à ce qu’elles témoignent, au-delà de la condition des exilé.es ; de liberté d’expression et qu’elles s'ancrent dans la mémoire collective. 

Ces artistes et tant d’autres, ne sont pas de simples commentatrices : elles tissent des œuvres qui exigent la protection du patrimoine comme condition de dignité. Exiger la sauvegarde des archives et des lieux historiques n’est pas une lubie esthétique ; c’est une exigence morale. 

Que peut faire l’art, donc, face à la logique de destruction ? Il peut témoigner, conserver et surtout, maintenir la présence d’un peuple quand le paysage matériel est effacé. Mais il peut aussi mobiliser l’opinion publique : les images, les expositions, les restitutions photographiques brisent l’indifférence. Sans la conservation et la restauration du patrimoine palestinien, nous participerions, à l’anonymisation d’un peuple.

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Jeanne Vicérial : Tisser les corps, écouter le silence